
C’est durant les périodes de crise, comme celle que nous vivons en ce moment, qu’on peut le mieux observer la vision gouvernementale, ou l’absence de celle-ci dans ce cas-ci, pour la gestion de la pauvreté. Disons-le tout de suite, ce n’est pas très beau à voir en ce moment, autant pour pallier municipal que provincial. En ce sens, samedi dernier, le 23 janvier, environ 200 personnes ont manifesté dans les rues de Montréal à l’appel du Syndicat des Travailleuses et Travailleurs en Intervention Communautaire (STTIC-CSN) pour exiger des primes de risques liés à leur emploi en temps de COVID-19.
Brûlé-es en tabarnak!
Leur message était clair et simple : « Nous sommes brûlé.e.s, nous sommes à bout de souffle » ont répété les différents intervenants s’adressant à la foule, entrecoupé de quelques « Tabarnak! » bien sentis. Le STTIC-CSN regroupe des travailleurs et travailleuses de rue, des intervenant.e.s communautaires, des pair-aidant.e.s qui travaillent auprès des populations itinérantes et marginalisées, exactement le genre de population pour laquelle notre bon gouvernement caquiste n’a montré que du mépris depuis le début de la pandémie.
Ces intervenantes de première ligne, ces travailleurs essentiels, ces anges-gardiens comme on les appelait au mois de mars dernier, c’est un peu le cheap labor de la santé publique dans la province. Ils et elles travaillent dans des organismes comme Dans La Rue, Montréal Autochtone, RÉZO ou encore CACTUS Montréal. Au jour le jour, ce sont ces personnes qui discutent, écoutent et partagent des moments avec les plus poqué.e.s de notre société. Ils et elles font aussi un énorme travail pour prévenir les surdoses de drogue, les infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), mais surtout, ils redonnent un peu de chaleur humaine à des gens qui en ont plus que besoin.
Les manifestant.e.s ont ainsi défilé pendant un peu plus de deux heures dans les rues du Quartier Latin et du Centre-Sud, s’arrêtant régulièrement devant les bâtiments d’organismes communautaires pour souligner le mépris dont elles et ils sont victimes de la part de leur employeur et de la Direction régionale de la santé publique qui finance leur salaire (bien plus bas que dans le système public de santé, il va sans dire).
« C’est vous qui êtes les travailleuses et travailleurs auprès des gens les plus vulnérables de notre société. […] Vous méritez non seulement des primes, mais une amélioration générale de vos conditions de travail qui sont vraiment minimales » a pour sa part lanccé à la foule Dominique Daigneault, représentante du Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN).
L’Accueil Bonneau préfère les Gardas aux intervenant.e.s
Pour l’occasion, le Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Accueil Bonneau (STTAB-CSN) avait également envoyé plusieurs de ses membres à la manifestation. C’est que ceux-ci ont appris la semaine précédente l’abolition d’onze postes d’intervenant.e.s, remplacés par des agents de sécurité Garda en sous-traitance. Comme si, ce dont on avait le plus besoin pour la gestion de la crise sociale à Montréal, c’était plus d’agents de sécurité et moins d’intervenant.e.s communautaires. Le monde à l’envers…
Drôle de coïncidence, le directeur exécutif de la Fondation Accueil Bonneau, Claude M. Vigneault, a fait carrière dans des entreprises de sécurité privées comme les Commissionnaires du Québec et… nul autre que GardaWorld. Comme le hasard fait bien les choses, il a même occupé le poste de directeur du développement des affaires au niveau canadien entre 2013 et 2014. On s’imagine que c’est dans un souci de continuer cette mission de développement des affaires qu’il a décidé de sous-traiter les postes d’intervenant.e.s à la même compagnie. J’te flatte le dos, tu me flattes le dos, comme on dit dans le milieu des affaires…
C’est d’ailleurs ce qu’un certain Yannck, intervenant à CACTUS Montréal a souligné lors de son discours devant les locaux de l’organisme : « Je pense que si on regarde la composition de nos conseils d’administration, il y a de plus en plus de personnes du milieu des affaires et c’est un problème, parce qu’on perd notre esprit communautaire. »
« Ce qu’il faut savoir, c’est que les intervenants ont été renvoyés directement chez eux, avec ordre d’y rester. Personne n’a eu l’occasion d’aller dire un dernier mot aux gars. […] Les gens avec qui ont travaille depuis des années, on a juste disparu de leur vie comme ça. Nos directions managériales n’ont aucune idée de ce que c’est une relation d’aide. Il n’y a plus d’humanité dans ces organismes-là et ça, on ne le laissera pas passer. » a également expliqué l’une des employé.e.s de l’Accueil Bonneau qui s’est faite sacrer dehors de l’organisme situé dans le Vieux Montréal.
Couvre-feu, crise du logement et crise sanitaire dans la métropole
Prenant peut-être en exemple l’équipe de gestion de l’Accueil Bonneau, le Premier Ministre du Québec, François Legault, a décidé lui aussi d’opter pour une gestion policière de la crise sanitaire. L’imposition d’un couvre-feu à travers la province a déjà fait une victime en la personne de Raphaël André, un homme de 51 ans d’origine innue s’étant réfugié dans une toilette chimique de Montréal pour ne pas pogner de ticket. C’est que selon Legault, il ne faut pas faire d’exemption pour les gens qui ne peuvent pas rentrer chez eux le soir, n’ayant pas de chez eux, sinon « n’importe qui pourrait dire qu’il est un itinérant ». Logique, n’est-ce pas?
Du côté municipal, l’administration progressiste de Valérie Plante et de ses sbires de Projet Montréal continue d’encourager la gentrification des quartiers centraux en ouvrant toute grande la porte à tous les projets de condos et de lofts de luxe qui lui sont présentés. Après avoir envoyé sa police virer les itinérants qui occupaient le campement Notre-Dame, cette lisière de terrain le long d’un boulevard qui n’a d’autre utilité que d’étouffer le son des voitures, pourquoi ne pas en profiter pour aggraver un peu plus la crise du logement?
Ces gestionnaires, ces gens d’affaires, ces spéculateurs immobiliers, ces politiciens, progressistes ou non, ont du sang sur les mains. Ils jouent avec la vie des gens, avec leur job, avec leur logement et se foutent des conséquences. Ils veulent des condos, des polices, des agents de sécurité, des caméras, des couvre-feux et un monde aseptisé où ils peuvent observer leurs subalternes travailler du haut de leur tour d’ivoire. Pour ma part, je paraphraserai Yannick, déjà cité plus haut, en disant ceci : « Si on veut retrouver notre esprit communautaire, ça passe par le syndicalisme révolutionnaire. Merci! »
Texte par Éric Sédition
Photos par Cédric Martin
P.S. Merci aux personnes ayant fait la sélection musicale, c’était beaucoup plus agréable que les Cowboys Fringants et autres Loco Locass auxquels nous a habitué la CSN pour ses manifs.